"Intégrale 2.0": un nouveau regard sur une legende par damien tomasi

Publié le 06/09/2024

Il doit être 1h ou 2h du matin et malgré le froid et notre unique sac de couchage pour deux, j'arrive  à somnoler. Mais, régulièrement, le bruit des chutes de pierres dans le couloir Eccles, au Grand Pilier d'Angle me réveillent. Entre le bruit des pierres et celui des séracs qui s'effondrent sur le glacier du Frêney il est quasiment impossible de dormir! 

Dans une heure, le réveil va sonner et nous allons sortir de ce duvet trop étroit… Pour faire des économies de poids, Aymeric a eu l’idée de génie de proposer de ne prendre qu’un sac de couchage pour deux et de coudre une sorte de drap à l’intérieur dans lequel nous nous enveloppons. Une idée de "génie" quand nous étions dans son salon qui est finalement devenue une idée "tout court" quand nous essayons de trouver le sommeil au sommet de l’Aiguille Noire de Peuterey ou au Col de Peuterey!

Notre petite aventure sur le côté italien du Mont-Blanc est née dans nos esprits il y a quelques temps et s'est nourrie de plusieurs ascensions mythiques réalisées sur ce versant depuis 1982. 

En 15 jours en Février 1982, Renato Casarotto, immense alpiniste italien et grand solitaire inventait un enchaînement devenu mythique: la "Super Intégrale". 

Son idée, à la fois simple, géniale et un peu folle était de gravir les mêmes sommets que l’Intégrale de Peuterey mais par les voies difficiles: la Ratti-Vitali en face ouest de la Noire de Peuterey, la Boccalatte-Gervasutti à la pointe Gugliermina et Pilier Central du Frêney. 

L'exploit hivernal de Casarotto n'a été refait que deux fois et par des cordées de trois. 

En 2003 par Patrick Pessi, Stéphane Benoist et Patrice Glairon-Rappaz. Puis en 2010 par Aymeric Clouet, Pierre Labbre et Jérôme Para. 

En été, la "Super Intégrale" entre très tôt sur la scène de l’alpinisme fast and light technique: pas celui où on marche mais celui où on grimpe vite! 

En 1988, Pierre Gourdin et Patrick Gabarrou font la première répétition de la "Super Intégrale" en deux jours. 

En 1992, Patrick Berhault et Fred Vimal réussissaient la première à la journée(!) pendant un stage de guide français! 

L'an dernier, Enzo Oddo et Léo Billon explosaient l'horaire dans un temps incroyable de 15h56 depuis le Val Veny…(Je pense qu’il va falloir franchement se secouer la pulpe pour faire mieux!).

Dans un autre registre tout aussi marquant, à l’été 1990, Alain Ghersen enchaînait tout seul et en 66 heures, la Directe Américaine aux Drus, l’éperon Walker aux Grandes Jorasses et l’Intégrale de Peuterey… Un exploit hors norme qui est peut être la plus belle ascension estivale réalisée dans le massif du Mont-Blanc! 

Avec Aymeric, nous n'avons aucune velléité de grimper ou marcher aussi vite mais notre motivation est nourrie par toutes ces aventures devenues mythiques avec le temps. Au fil des discussions et en parcourant les topos, l’itinéraire que nous projetons prend forme: nous voulons grimper l’Intégrale, sans jamais quitter l’arête et rejoindre les sommets par les voies difficiles. Un enchaînement ni rapide ni extrême mais esthétique. 

Le 4 Août, après une nuit au refuge Borelli, nous grimpons "Nero su Bianco" : une voie très aventureuse ouverte en 2000 par Erick Svab et Maurizio Oviglia. Cette ligne, assez unique pour le Massif du Mont-Blanc, force de grands boucliers de dalles dans la face est de la pointe Brendel. L'escalade est engagée et sinueuse… Un chef d'oeuvre du genre! 

Après une belle nuit à côté de la vierge, nous continuons via la traversée des Dames Anglaises et la Blanche de Peuterey et bivouaquons au col de Peuterey. 

Le lendemain, nous grimpons la "Directissime Jori Bardill"  une voie ouverte en 1982 par Michel Piola, Jori Bardill et Pierre Alain Steiner. Les longueurs sont splendides, raides et le rocher superbe. 

Nous sommes seuls et heureux d'être là. 

A chaque relais, je regarde vers la vallée et je trace avec l’index l’itinéraire que nous empruntons depuis 3 jours. Je trouve logique, esthétique, presque beau.

A 16h20, nous rejoignons le sommet du Mont-Blanc et explosons de joie. Cet endroit parcouru par des milliers de personnes pendant l’été est à ce moment de la journée désert et tellement beau… On pourrait presque y toucher l‘horizon. 

Je me souviens que la dernière fois que j’étais ici, c’était en hiver et avec Titi Gentet et cette pensée fait poindre un brin de nostalgie et de tristesse. Je n’ai pas envie de descendre. J’aimerais qu’il y est encore quelque chose à grimper, un autre pilier, une autre face… Mais l’aventure s’arrête là!

 

Article de Damien Tomasi, Août 2024
Photos de Aymeric Clouet et Damien Tomasi, Août 2024


Damien Tomasi, née près de Nice, en France, est un athlète et guide de haute montagne, membre de la Compagnie des Guides de Chamonix et instructeur ENSA.
Activités principales: escalade, escalade sur glace et grandes routes alpines.
Produits préférés de Grivel : Dark Machine X, G20 Plus, et casque Duetto.